MILLON - Gonzague Saint Bris - Une maison d'écrivain

LUNDI 4 JUIN 2018
Millon

Gonzague Saint Bris fut l’une des personnalités littéraires les plus engagées en faveur du rayonnement de la culture et de la langue française. Disparu en août 2017, l’écrivain, historien, journaliste, homme de presse, de radio et de télévision, est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, principalement des biographies historiques. Partageant son temps entre la Touraine et Paris, il avait élu domicile dans un ancien atelier d’artiste du 8ème arrondissement, à deux pas du square d’Orléans qui abritait les amours de George Sand et Frédéric Chopin. Un endroit atypique, à la décoration éclectique, parfait reflet de son esprit original.

Le 4 juin prochain, la maison de ventes Millon plonge dans l’univers du romancier, en proposant aux enchères les objets et le mobilier qui l’ont accompagné tout au long de sa vie. Livres, bibelots, vaisselle, écrits, manuscrits et photos sont autant de souvenirs dispersés en mémoire de cet homme hors du commun, au profit du projet de la Maison d’Ecrivains Gonzague Saint Bris en Touraine. À acquérir sous forme d’ensembles, ces objets représentent une part des multiples univers chers à l’auteur.
 

« Un bric à brac à la Balzac »

« Je veux que le lieu que j’habite, que les objets qui sont à mon usage me parlent de ce qu’ils ont vu, de ce qu’ils ont été, et de ce qui a été avec eux. » Ces mots d’Eugène Delacroix, Gonzague Saint Bris se les était appropriés et pratiquait dans sa demeure parisienne la « bricabracomanie » que lui qualifiait de « Balzacomanie.»

L’écrivain et journaliste avait élu domicile dans cet ancien atelier d’artiste du XIXème siècle de la rue Pelouze, dans le 8ème arrondissement de Paris. On dit que ce bâtiment, au décor Néogothique, aurait été construit sur l’ancienne demeure de Casanova, ou encore que le musicien Django Reinhardt y aurait enregistré quelques-uns de ses célèbres morceaux dans les années 40. Autant de récits qui n’étaient pas sans déplaire à l’historien et homme de lettres qui avait fait de ce lieu chargé d’histoire son petit musée, dans lequel il laissait libre cours à son imagination.

« Gonzague disait qu’il faisait « un bric à brac à la Balzac », se remémore avec tristesse Marie-Claude Mahiette, sa collaboratrice.
« Chaque emplacement d’objets avait un sens précis pour lui. Sa façon de les positionner correspondait à une histoire intérieure et entrait en résonnance avec ses ouvrages. Les décors qu’il créait découlaient des recherches accumulées pour leur rédaction. On trouvait dans cette maison des statues d’Henry IV, de François Ier, un buste de Léonard de Vinci, le masque mortuaire de Pouchkine... Tout avait un sens pour lui. Il n’était pas rare lors de nos séances de travail, qu’il se lève, s’arrête et aille déplacer un petit objet qui pour lui n’était pas à sa place. Tout était symbolique. Avec de nombreuses références littéraires, poétiques, historiques. C’était « son » histoire mise en scène à travers ces objets. »

 

Réminiscences du Clos Lucé
 
"Le grand luxe aujourd’hui, c’est d’être de plain-pied dans toutes les époques.»
Gonzague Saint Bris

Sa demeure parisienne illustre à merveille cette notion. Les objets qu’elle abrite sont un voyage à travers l’Histoire de France mais également une invitation dans le monde intime de l’écrivain.

Né à Loches en 1948, il est le fils d'Hubert Saint Bris (1915-1979), diplomate, et d’Agnès Mame, poétesse amateure, descendante de Louis Mame, l'un des éditeurs de La Comédie Humaine. Deuxième d’une famille de huit enfants (sept garçons et une fille), il grandit au château du Clos Lucé, à Amboise, propriété familiale depuis le 30 juillet 1854.

« La première fois que je suis entrée rue Pelouze, j’ai eu l’impression d’être transportée au Clos Lucé », se souvient Marie-Claude Mahiette. « Chaque pièce faisait référence au lieu et à l’atmosphère de son enfance. Gonzague passa sa première jeunesse dans ce manoir qui fut la dernière demeure de Léonard de Vinci. Il avait d’ailleurs fait de Léonard son grand-père imaginaire avec lequel il conversait. Gonzague raconte d’ailleurs cette période de sa vie dans L’Enfant de Vinci. »

Les références à la demeure tourangelle sont nombreuses rue Pelouze, notamment dans la salle à manger où les figures de François Ier et Léonard de Vinci sont particulièrement à l’honneur. La pièce accueille sur ses murs des stèles en plâtre, des moulages de statues d’église ainsi qu’une statue du roi de France ou encore des reproductions de dessins de Vinci… Le haut d’un buffet rassemble des objets sur le thème de la navigation et des Amériques, des Grandes Découvertes du XVIème siècle jusqu’au XVIIIème avec l’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique.


Vue d'ensemble du grand salon Néogothique (c) David Nivière
 

Le bureau La Fayette

Gonzague Saint Bris avait perché son bureau sur l’une des coursives qui faisait face à sa bibliothèque. Inspirée de celle que Victor Hugo possédait dans sa maison de Guernesey, celle-ci accueille une partie de la documentation que Gonzague avait accumulée pour ses écrits sur les rois de France, Léonard de Vinci, la Renaissance… mais également des textes sur les Romantiques, les biographies de Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, Honoré de Balzac ou encore Gustave Flaubert.

Sur sa table d’écriture, réplique du bureau du Marquis de La Fayette au Château de Chavaniac, étaient disposées des statuettes représentant tous les personnages qu’il affectionnait: Léonard, le roi René, grand roi culturel, Molière, Tolstoï, Shakespeare, Chopin…".

Chaque nuit, il noircissait de son écriture au graphisme singulier trois feuillets au feutre noir. "Ça fait mille pages par an, ensuite vous découpez en deux et ça fait deux livres!" répliquait-il. Des notes manuscrites qui étaient ensuite consignées dans un grand coffre de velours bordeaux.

Sur les murs, on retrouve un accrochage spontané mêlant tour à tour un poème de Catherine Breillat, des lettres et autographes aux signatures aussi variées que celles de Victor Hugo, Alexandre Dumas, Alfred de Vigny, George Sand en passant par Louis XI, Napoléon III, Louis II de Bavière, Charlotte Gainsbourg, Jane Birkin ou encore Jacques Chirac et Alain Delon. Des dessins de Reiser, Siné, Moebius ou encore Karl Lagerfeld viennent parfaire cette composition hétéroclite, aux côtés de photographies de Gonzague Saint Bris en compagnie de Mick Jagger à Amboise ou de Michael Jackson en Afrique.

Gonzague Saint Bris aimait les hommes de gloire et La Fayette en était pour lui l’incarnation. Cette pièce compte de nombreuses références au Général ainsi qu’à La Nouvelle Alliance. Mouvement visant à renforcer et valoriser les liens culturels entre la France et les Etats-Unis, il fut créé par Gonzague Saint Bris en 1986 à l’occasion du centenaire de la Statue de la Liberté.

Le grand salon Néogothique

Fasciné par l'armée napoléonienne et par la gloire des batailles qu’elle remporta, le grand salon est décoré de portraits de l’empereur et de ses généraux. Le long des hautes baies vitrées du grand salon sont disposés, en rangées, les nombreux ouvrages des Editions familiales Mame.

La pièce accueille également plusieurs bustes chapeautés. «Gonzague avait fait l’acquisition de ce buste de Molière et de ce chapeau traditionnel chez un antiquaire d’Audierne en Bretagne où il adorait aller. Il est ressorti de la boutique coiffé d’un chapeau breton avec le buste dans les bras! » s’amuse Marie-Claude. A leur côté, se trouve le tableau d’un enfant de chœur. « Gonzague a acheté ce tableau à un ami car il trouvait que l’enfant lui ressemblait lorsqu’il avait le même âge. Il y a ajouté une photo de lui. C’est vrai que la ressemblance est frappante ! », remarque Marie-Claude.

Sur les étagères cloisonnées, on découvre des scénettes d’objets comme autant d’autels érigés par l’écrivain. « Ici c'est la période de sa petite enfance en Angleterre qui lui inspira le livre Les Vieillards de Brighton (Prix interallié 2002). Là ce sont ses années ‘Radio’ avec les 45 tours de ses émissions et les références aux Radios Libres dont il fut l’initiateur sous François Mitterrand. »

En déambulant dans le salon, on peut également croiser le secrétaire d’Alexandre Dumas, le retable devant lequel fut baptisé Alfred de Vigny, une banquette de théâtre, témoin d’un fou rire de la Comtesse de Ségur, le service à liqueur de Lord Byron ou encore la loupe offerte par Maxime Dupin à son ami Gustave Flaubert.

Taguer les murs et les photos

Figure du dandysme moderne, Gonzague Saint Bris a fait de cette adresse un haut lieu des soirées parisiennes où se donnaient des représentations de théâtre ou des lectures de textes ou de poèmes.

Si l’homme savait faire dialoguer avec succès les époques et les objets, il était également passé maître pour mettre en relation des hommes et des femmes venus de tous les horizons. Les murs de sa maison portent encore les témoignages de ces formidables rencontres.

Sous les marches de l’escalier, sur les portes des placards, les photos des célébrités et les graffitis ont acquis leurs lettres de noblesse. Autant de mémentos, dessins, petits messages laissés par les invités d’un soir aussi hétérogènes qu’Inès de la Fressange, son amour de jeunesse, Gérard Depardieu, Daniel Filipacchi, Claire Chazal ou Doc Gynéco.
 
"Je trouvais cela beaucoup plus amusant que de faire un livre d’or ! "
Gonzague Saint Bris.



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