DAGUERRE - Découverte d’un tableau inédit de Jusepe de Ribera

mardi 16 juin 2020

Expert : Cabinet Turquin

Jusepe de RIBERA (1591-1652) n’a qu’une vingtaine d’années lorsqu’il peint cette œuvre Un philosophe : l’heureux géomètre. L’artiste né en Espagne n’est pas encore connu comme le grand peintre de Naples, l’un des plus importants foyers artistiques du XVIIe siècle. C’est avant cette période napolitaine, à Rome autour de 1610 qu’il réalise cette allégorie singulière et dérangeante du Savoir. Inconnue des spécialistes, cette toile est inédite. Authentifiée par Stéphane Pinta du cabinet Turquin, elle sera mise aux enchères à Paris, Drouot, 16 juin 2020 par la maison de ventes Daguerre avec une estimation de 200 000 à 300 000 euros. 

 
aaa 4 clés pour comprendre le tableau

1. Cette découverte offre un nouvel éclairage sur la période de jeunesse du peintre, qui est aujourd’hui au cœur des recherches sur son corpus.

2. Le tableau figure l’un des modèles préférés de l’artiste, qu’il représentera dans six tableaux différents de sa période Romaine. 

3. Ribera livre ici l’une de ses figures les plus surprenantes et les plus truculentes, un trait d’humour très original pour l’époque.

4. Ses recherches en matière d’éclairage et le choix d’un homme disgracieux et misérable pour représenter un savant font directement écho au clair-obscur et à l’art provocateur du Caravage. Les deux peintres sont tous deux installés à Rome au début des années 1600. Ribera se réclamera toujours de son pays natal, l’Espagne, signant souvent ses tableaux « Jusepe de Ribera espanol ».
Jusepe de Ribera (1591-1652)
Un philosophe : l’heureux géomètre
Toile
100 × 75,5 cm
Estimation : 200 000 / 300 000 €


Un nouvel apport au corpus de Ribera, artiste majeur du XVIIe siècle

Conservé par des particuliers qui n’en soupçonnaient pas la valeur

La découverte d’un tableau inédit de Jusepe de Ribera (1591-1652), l’un des plus grands artistes de la peinture du XVIIe siècle, est un événement pour l’histoire de l’art. Un philosophe : l’heureux géomètre, était conservé chez des particuliers qui n’en soupçonnaient pas la valeur. « Il s’agit de clients fidèles, qui nous font confiance depuis de nombreuses années. Ne se doutant pas de son importance, ils n’avaient jamais pensé à nous le montrer », explique Benoît Derouineau commissaire-priseur de la maison Daguerre, qui mettra ce tableau en vente vendredi 27 mars 2020 à Paris, Drouot, avec une estimation de 200 000 à 300 000 euros. Interpelé par « cette image forte, singulière et amusante », Benoît Derouineau en confie l’expertise au cabinet Turquin, spécialisé dans la peinture ancienne. Les experts l’authentifient alors comme une œuvre de Ribera. 

Un tableau totalement inconnu
Cette nouvelle découverte du cabinet Turquin, qui intervient après celles des tableaux de Caravage, de Cimabue et du maître de Vyšší Brod, participe activement aux avancées de l’histoire de l’art. « Ce tableau était totalement inconnu, il ne figurait dans aucune publication sur Ribera. L’ajout de cette toile au corpus de l’artiste permet d’approfondir les connaissances sur son oeuvre, qui fait l’objet de nouvelles recherches depuis le début des années 2000 », confie Éric Turquin, dont le cabinet avait déjà découvert une œuvre de jeunesse de l’artiste, un Saint Jean l’Évangéliste, vendu à Drouot en 2012 par l’étude Oger Blanchet et acquis par le musée du Louvre.

Issu de sa période de jeunesse, au cœur des dernières recherches sur l’artiste

Artiste majeur de la ville de Naples, qui comptait au XVIIe siècle parmi les principaux foyers artistiques de la peinture européenne, Jusepe de Ribera commence sa carrière à Rome au début des années 1600. « Cette période romaine, au cours de laquelle notre tableau a été réalisé, est au coeur des dernières recherches sur l’artiste », confie Éric Turquin. En 2002, un ensemble de tableaux anonymes est en effet identifié comme étant de la main de Ribera, et plus particulièrement de cette toute première période d’activité à Rome. Préalablement rassemblées sous l’appellation du Maître du Jugement  de Salomon, en référence à l’un de ces tableaux conservé à la Galerie Borghèse de Rome, ces toiles apportèrent un nouvel éclairage sur le corpus du peintre, qui ne cesse depuis de faire l’objet de nouvelles publications scientifiques et d’expositions, à l’image de celle consacrée à son principal élève, Luca Giordano, qui se tient au Petit Palais jusqu’au 23 février 2020.

Une œuvre originale dans le corpus du peintre

Cette première période d’activité étant stylistiquement très éloignée de ses compositions plus tardives, les historiens d’art ont mis plusieurs décennies à  pouvoir la rattacher au corpus de Ribera. Au fil de sa carrière, le peintre a en effet réalisé des oeuvres radicalement différentes. « C’est le signe d’un  grand artiste, très inventif, qui réussit à se renouveler et à changer totalement de style, à l’image de ce tableau incisif, percutant et très original dans le corpus du peintre. Une toile « extra-ordinaire » au sens littéral du terme, et d’une fascinante modernité », poursuit Éric Turquin en ajoutant que Ribera se réclamera toujours de l’Espagne, signant souvent ses tableaux « Jusepe de Ribera espanol ».

 
“ Ce tableau était totalement
inconnu, il ne figurait
dans aucune publication sur
Ribera. L’ajout de cette toile
au corpus de l’artiste permet
d’approfondir les connaissances
sur son oeuvre, qui
fait l’objet de nouvelles recherches
depuis le début des
années 2000 “
explique Éric Turquin, expert
en peinture ancienne.


Une allégorie provocante et teintée d’humour

L’un des modèles favoris de l’artiste

L’identification du personnage représenté sur le tableau a permis au cabinet Turquin de rattacher ce tableau au corpus de Ribera. « Ce visage si particulier nous était familier. Nous retrouvons en effet ce vieillard chauve, avec ses rides prononcées et ses oreilles décollées dans plusieurs tableaux de l’artiste. Il s’agit de l’un de ses modèles favoris», détaille l’expert Stéphane Pinta. L’artiste a utilisé ce modèle dans six autres de ses oeuvres réalisées pendant sa première période d’activité à Rome, parmi lesquelles un Saint Barthélémy conservé à la Fondation Longhi de Florence, et Le Reniement de Saint Pierre conservé à la Galerie Corsini à Rome.

 
“ Ribera livre ici une interprétation totalement allégorique du savoir.
Loin des représentations stéréotypées des grands penseurs de l’Antiquité,
avec leur barbe blanche et leur noble apparence,
l’artiste préfère représenter un vieil homme ridé, vêtu de guenilles pour incarner la connaissance.“ 
Stéphane Pinta, expert en au cabinet Turquin


Une représentation allégorique du Savoir

Des feuilles noircies de schémas et de figures géométriques apparaissent dans les mains du personnage posées sur l’entablement devant lui. Ces écritures lui confèrent une dimension savante, de philosophe ou de géomètre. Au début du XVIIe à Rome, les représentations des penseurs de l’Antiquité étaient particulièrement recherchées. Les collectionneurs exposaient ces figures savantes dans leur cabinet d’amateur. « Nous pensons éventuellement au mathématicien Archimède, mais Ribera livre ici une interprétation totalement allégorique du Savoir. Loin des représentations stéréotypées des grands penseurs de l’Antiquité, avec leur barbe blanche et leur noble apparence, l’artiste préfère figurer un vieil homme ridé, vêtu de guenilles pour incarner la connaissance. Une provocation soulignée par le sourire malicieux du personnage », confie Stéphane Pinta.

Un humour propre à Ribera

« L’artiste livre ici l’une de ses figures les plus amusantes et les plus truculentes, une pointe d’humour parfaitement originale pour l’époque. Aucun de ses contemporains, à commencer par Caravage, n’emploiera ainsi l’humour dans ses œuvres. C’est une dimension propre à Ribera », constate Éric Turquin en insistant sur la dimension théâtrale de ce héros, duel à la fois grotesque et savant.

« De la laideur, il fait naître la beauté »

Prendre une « tronie », l’une de ces « trognes » caricaturales aux faciès difformes souvent employées par les peintres hollandais des XVIe et XVIIe siècles, pour représenter un savant est une provocation. « Comme Caravage qui se trouve lui-aussi à Rome au tout début des années 1600, Ribera est  un artiste de la Contre-Réforme catholique qui cherche à capter l’attention du spectateur en lui offrant des images percutantes, au service d’un message religieux. Cet homme au physique disgracieux fait lui aussi partie de la création divine. Pour Ribera, la beauté esthétique sublimée par Raphaël et les artistes de la Renaissance italienne devient ennuyeuse et éthérée. Il préfère représenter les gens tels qu’ils sont, avec leurs défauts et tous les  détails de leur anatomie. De la laideur il fait naître la beauté », étayent Éric Turquin et Stéphane Pinta avant de citer le poème Ribeira écrit par Théophile Gautier (1811-1872) en l’honneur de l’artiste, qui débute par ce vers : « Il est des cœurs épris du triste amour du laid ». Vingt ans plus tard, dans les années 1630, pour sa série des Philosophes, Ribera représentera de nouveau ces érudits sous les traits imparfaits des hommes du peuple.

Un éclairage révolutionnaire : la leçon du ténébrisme

Une composition proche de son premier Apostolado


À l’époque de la réalisation de ce tableau, autour des années 1610, Ribera est installé à Rome. Malgré son jeune âge, une vingtaine d’années, et ses origines espagnoles qui l’éloignent à priori des réseaux d’influence romains, l’artiste obtient une importante commande de douze tableaux représentant  les apôtres : il s’agit de sa toute première série des Apostolado. « Chacune de ces toiles représente un personnage à mi-corps, comme dans notre tableau. Le format choisi, autour d’un mètre de haut, est identique, puisque Un philosophe : l’heureux géomètre mesure un mètre de haut pour 75,5 centimètres de large », ajoute Stéphane Pinta. 

Un portrait en deux jours 

L’expert rappelle le témoignage de Giulio Mancini (1559-1630), premier biographe de l’artiste qui fait état « d’un artiste à l’exécution rapide, capable de peindre un Saint Jérôme en deux jours seulement et un Jugement de notre Seigneur de dix figures à mi-corps en cinq jours à peine. » Stéphane Pinta ajoute : « Ribera peint extrêmement vite. Malgré sa jeunesse, il a déjà trouvé son style et il le maîtrise parfaitement. Notre tableau donne à voir  l’épaisseur de sa matière crémeuse, et les énergiques coups de pinceaux du peintre. Les tons froids, gris et pâles qui entourent le personnage permettent aux tons cuivrés et acajou de ce visage ridé de mieux se détacher du fond. »

 
“ Ribera peint extrêmement vite.
En dépit sa jeunesse, il a déjà
trouvé son style et il le maîtrise
parfaitement.“
Stéphane Pinta, expert au cabinet
Turquin
 


Un éclairage zénithal artificiel

«Tout comme dans sa première série d’Apostolado, la lumière zénithale offre un puissant contraste avec le fond noir et neutre. Cet éclairage est caractéristique du ténébrisme qui explose alors à Rome, après les expériences initiées par Caravage », ajoute Stéphane Pinta rappelant que Ribera ira jusqu’à faire ouvrir une fenêtre dans le plafond de son atelier pour bénéficier d’une lumière directe. « Ces éclairages percutants étaient totalement  révolutionnaires à l’époque, ils choquaient par leur aspect artificiel », ajoute Éric Turquin.

Précurseur dans les expérimentations sur l’éclairage

Si la probabilité que Ribera ait pu fréquenter le Caravage fait encore débat au sein des historiens d’art, il est certain que l’artiste d’origine espagnole connaissait les toiles du maître du clair-obscur. « A Rome, dans les années 1610, tout le monde allait admirer les oeuvres de Caravage », ajoute Éric Turquin. Pour l’expert, le ténébrisme de Ribera et ses expérimentations en matière d’éclairage sont particulièrement précoces. « Précurseur, il est le seul à mener ces recherches esthétiques du vivant du Caravage, bien avant ses suiveurs, dont le français Georges de La Tour qui travaillera ses jeux d’ombre et de lumière seulement à partir des années 1630, soit 20 ans après la réalisation de notre tableau. »

 
Vente aux enchères publique - Drouot - Salle 15
Mardi 16 juin - 14h

Exposition publique - Drouot - Salle 15
Samedi 13 juin - 11h / 19h
Lundi 15 juin - 11h / 119h

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Daguerre

tableaux, mobilier et objets d'art, gravures, dessins

Vente : mardi 16 juin 2020
Salle 15 - Hôtel Drouot - 9, rue Drouot 75009 Paris, France
Maison de vente
Daguerre
Tél. 01 45 63 02 60