BINOCHE ET GIQUELLO - Bibliothèque Beauvillain

vendredi 05 juin 2020

Experts : Ariane Adeline et Dominique Courvoisier

La maison de ventes Binoche et Giquello présentera aux enchères le 5 juin une partie de l’importante bibliothèque constituée par Robert Beauvillain au début du XXe siècle. De 1400 à 1930, cet ensemble de plus de 300 livres, extrêmement éclectique, s’adresse autant aux collectionneurs de livres d’heures du début de la Renaissance qu’à ceux qui affectionnent les belles reliures du XXe siècle.

Chronologique, la vente démarrera par le XVe siècle, notamment illustré par Stultifera navis de Brandt, 1497, le Quadragesimales de Meder, 1495, ou encore un Tite-Live de Vérard, 1508, imprimé sur vélin ainsi que des livres d’heures – détaillés ci-après. Le XVIIIe siècle sera représenté par quelques rares curiosa, un ensemble de calendriers brodés ou des ouvrages illustrés de gouaches. Enfin, une grande partie de la vente abordera la fin du XIXe et le début du XXe siècle à travers de nombreux livres illustrés, notamment reliés par Charles Septier – ancien ouvrier de Charles Meunier (1866-1948) – qui s’établit à son compte en 1933 et décède en 1958. Les reliures de Septier, doublées et mosaïquées, habillent luxueusement des ouvrages illustrés par Dinet, Kupka, Mucha, Carlos Schwabe, Charles Jouas, Maurice Denis, Schmied, etc.

Le clou de la vente est constitué de deux livres d’heures exceptionnels du XVe siècle. Le premier est contemporain de l’âge d’or de l’enluminure française au temps du duc Jean de Berry (1340-1416), peint vers 1400 par le Maître de Luçon (ou Maître d’Etienne Loypeau), issu du cercle des peintres actifs au service de grands mécènes dont le duc de Berry (estimation : 250 000 - 350 000 €) et le second est un témoin spectaculaire de l’art berrichon du XVe finissant, annonçant la Renaissance française, peint par le Maître de Spencer 6 (estimation : 600 000 - 800 000 €). Un troisième livre d’heures, parisien, associant l’art de deux artistes, le Maître de Philippe de Gueldre et le Maître d’Etienne Poncher, vient compléter l’ensemble.



« Les Heures de Pierre Soppite et Marie Deschevert », livre d’heures à l’usage de Rome exécuté au début du XVe siècle est le premier des deux chefs-d’œuvres de la vente. Ce manuscrit en latin, sur parchemin, est enluminé de 13 grandes miniatures attribuées au Maître de Luçon (ou Maître d’Etienne Loypeau), actif à Paris de 1390 à 1415/17 (estimation : 250 000 - 350 000 €).

L’ouvrage a été réalisé vers 1400/10, une période qui correspond à l’âge d’or de l’enluminure française et l’apogée du mécénat du duc de Berry. Justement, l’artiste de ce livre d’heures doit son nom – Maître de Luçon (ou Maître d’Etienne Loypeau) (1464-1547) – au cadeau que l’évêque de Luçon offrit à Jean Ier de Berry. Il s’agissait d’un Pontifical-missel commandé par l’évêque Etienne Loypeau, peint vers 1405 (mais avant 1407).

Les miniatures qui ponctuent le livre s’inscrivent dans les traditions héritées du XIVe siècle, à l’instar de la grande sobriété des compositions, des fonds traditionnels mosaïqués ou losangés et des sols nus. De même, les personnages sont revêtus de couleurs sobres mais aux drapés bien définis. Le Maître de Luçon affectionne les rochers escarpés en arrière-plan, que l’on remarque à plusieurs reprises. 

Parmi les treize grandes miniatures, l’une se distingue particulièrement des autres ; il s’agit de l’Annonciation, peinte dans des tons en semi-grisaille, contrairement aux douze autres, toutes en couleur. De plus, autour de la scène principale, un cycle de drôleries animent les marges. Des enfants, nus et coiffés d’un chapeau, s’attaquent avec des lances à un bestiaire original : licorne, ours, lion, salamandre, dragon et oiseau.

Le manuscrit a une provenance des plus intéressantes : on connait les propriétaires du XVIIe siècle, le couple Marie Deschevert et Pierre Soppite, qui inscrivent tous deux leurs noms dans le manuscrit (Pierre Soppite est sieur de Louveciennes, conseiller et premier valet de chambre du roi) ; puis Louis Robert de Saint-Victor (1738-1822), grand collectionneur de tableaux ; il figura à la vente de la Collection Clicquot de Reims (1843), fut acquis par Alfred Bonnardot, historien de Paris et important bibliophile et rejoint enfin la bibliothèque Beauvillain.



 

Le second, – véritable redécouverte – est ce livre d’heures à l’usage de Rome, baptisé « Heures de G et H ». Rédigé en latin et en français sur parchemin, très certainement à Bourges vers 1500/10, cet ouvrage est extraordinaire. Il compte en effet 4 diptyques (8 grandes peintures), 28 grandes miniatures [soit, en tout, 36 grandes miniatures], 35 petites miniatures (dont 12 au calendrier en bas-de-page), 4 initiales historiées par le Maître de Spencer 6 et 3 initiales historiées par un autre peintre berrichon (estimation : 600 000 - 800 000 €).

Ce manuscrit constitue très certainement le chef-d’œuvre de l’enlumineur, le Maître de Spencer 6, actif à Bourges entre 1495 et 1510. Il est probable qu’il soit plus important encore que son pendant, conservé à la Public Library de New York au sein de la Spencer Collection, MS 6. Ce dernier ne compte que deux diptyques tandis que les « Heures G et H » en contiennent quatre. Aujourd’hui, le mystère des initiales « G et H » et de la devise « Jusques a ce » qui parsèment les bordures de ce manuscrit demeure, même si elles correspondent sans nul doute aux nom et devise du commanditaire, figuré en prière, tout en élégance avec des bateaux qui invitent au voyage au loin. 

Le Maître de Spencer 6 affectionne particulièrement ces scènes de bateaux et de caravelles, ainsi que les scènes de vènerie, de chasse au faucon ou à l’épervier et l’exotisme en général. Il n’est donc pas surprenant de trouver une scène figurant Joseph cueillant des dattes dans une Fuite en Egypte revisitée, ni le surprenant éléphant que chevauche l’un des rois mages. L’artiste accorde également une grande importance aux détails vestimentaires pittoresques : ce manuscrit offre un florilège de vêtements et tenues à la mode, qui laisse poindre l’influence de la mode italienne introduite en France.
 

 

« L’artiste de Bourges compose ses images en fonction de ses commanditaires, en y intégrant des préoccupations contemporaines avec une compétence incontestable. Son imagination est inspirée par des nouveautés dans le monde vestimentaire et l’art italien, des voyages outre-mer et par les croisades contre les Turcs... [...] Ces livres éclairent bien le milieu pour lequel travaillait le Maître de Spencer 6. Ses commanditaires étaient des hommes de lettres, des hommes politiques et des marchands qui voyageaient fréquemment, particulièrement en Italie. », écrit Airaksinen-Monier dans son ouvrage Le Maître de Spencer 6 et ses commanditaires voyageurs (2018). 

Enfin, l’enlumineur utilise à de nombreuses reprises les plans rapprochés – « dramatic close-up » – qui concentrent le regard du spectateur, encourageant la dévotion et la méditation. C’est le cas de superbes miniatures figurant la Vierge à l’enfant avec un oiseau et celle de Marie Madeleine avec son regard qui trahit la couleur bleue de ses yeux.

 

 

Le dernier livre d’heures de la collection Beauvillain présenté dans cette vente est à l’usage de Paris, exécuté vers 1500. Écrit en latin et en français sur parchemin, il est illustré de 18 grandes et 34 petites miniatures peintes par deux artistes : le Maître de Philippe de Gueldre et le Maître d’Étienne Poncher (estimation : 25 000 - 30 000 €). 

Parmi les miniatures, 24 de petite taille illustrent un calendrier qui présente les travaux des mois ainsi que les signes du zodiaque. Les diptyques – les plus grandes miniatures – introduisent les grandes divisions liturgiques du texte et sont inscrites dans de beaux encadrements enluminés sur fonds d’or liquide, animés d’un bestiaire varié.

Les deux enlumineurs, le Maître de Philippe de Gueldre et le Maître d’Etienne Poncher sont parisiens. Le premier a été actif vers 1500-1510 et a été baptisé du nom de Philippe de Gueldre (1464-1547), duchesse de Lorraine, pour qui il a peint en 1506 une Vie du Christ. Il illustre des manuscrits de luxe tout en travaillant régulièrement pour le livre imprimé et succède à Antoine Vérard (actif entre 1485 et 1512 ; imprimeur parisien) dans le rôle de peintre de frontispices. Le Maître d’Étienne Poncher désigne par convention un enlumineur actif à Paris entre 1490 et 1510. Il doit son nom à deux manuscrits peints pour l’évêque de Paris, Étienne Poncher.

 
Vente aux enchères publique - Drouot - Salle 7
Vendredi 5 juin – 14h

Exposition publique - Drouot - Salle 7
Jeudi 6 juin – 11h / 19h



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Giquello

livres anciens et modernes : bibliothèque Robert Beauvillain

Vente : vendredi 05 juin 2020
Salle 7 - Hôtel Drouot - 9, rue Drouot 75009 Paris, France
Maison de vente
Giquello
Tél. 01.47.42.78.01