KÂ-MONDO - Un autoportrait d'Antoine de Saint-Exupéry aux enchères

jeudi 04 juin 2020

Expert : Ludovic Miran

Au sein de sa vente consacrée aux livres et manuscrits du 4 juin prochain, la maison Kâ-Mondo présentera un ensemble conséquent de dessins d’Antoine de SAINT-EXUPÉRY (1900-1944). Le dessin le plus important, et le plus émouvant, comporte un autoportrait de l’écrivain, sous les traits du Petit Prince, pendu, exprimant la douleur d’une séparation amoureuse. Un second lot est constitué d’un feuillet offrant dix dessins préparatoires à l’illustration du Petit Prince, réalisés vers 1942.

 

Antoine de SAINT-EXUPÉRY - Autoportrait en Petit Prince pendu, sur la planète Terre ; à l’arrièreplan,
un couple enlacé sur un banc, sur une planète dénommée « Fox MGM »

Encre et aquarelle sur papier | 27 x 21 cm | v. 1942/43
Estimation : 60 000 - 80 000 €

Autoportrait en Petit Prince pendu, sur la planète Terre ; à l’arrière-plan, un couple enlacé sur un banc, sur une planète dénommée « Fox MGM » est une aquarelle originale d’Antoine de Saint-Exupéry qu’il réalise à New York en 1942 ou au début de l’année 1943. Elle est estimée entre 60 000 et 80 000 €. Rares sont les dessins de l’auteur qui suscitent une telle émotion. La composition illustre le désespoir du romancier lorsqu’il prend la décision de quitter les États-Unis et de s’éloigner de sa tendre amie Silvia Hamilton. 

La figure principale, au premier plan à droite, représente la Terre, sur laquelle se trouve un personnage pendu à une potence : il s’agit d’Antoine de Saint-Exupéry lui-même, représenté dans le costume et l’attitude du Petit Prince. Au fond de la composition, en haut à gauche, sur une autre planète dénommée « FOX MGM », un couple est figuré enlacé sur un banc. En haut à droite, Saturne apparaît. Les poètes associent cette planète à la mélancolie et les astrologues, à la rupture et au renoncement. Peut-on y voir un message ? 

Saint-Exupéry s’exile aux États-Unis en 1941. Lors de son séjour new-yorkais, il se lie d’une amitié amoureuse intense avec Silvia Hamilton. Au printemps 1943, avant de partir pour l’Afrique du Nord et juste après la parution du Petit Prince, le romancier offre à son amie Silvia les manuscrits originaux de son chef-d’œuvre, ainsi qu’un exceptionnel ensemble de dessins préparatoires et d’études pour illustrer son conte. Silvia Hamilton cède le manuscrit autographe du Petit Prince en 1968 à la Morgan Library, avec de nombreux dessins. Elle en vend d’autres, huit ans plus tard à Paris, dont celui-ci. Deux interprétations s’offrent à ce dessin. 

Le couple enlacé pourrait représenter Silvia Hamilton et Gottfried Reinhardt qui entretenaient une liaison avant de se marier, en 1944. G. Reinhardt était producteur et travaillait dans le milieu de l’industrie cinématographique, d’où la présence de la planète « FOX MGM ». Saint-Exupéry, profondément blessé par cette liaison, aurait illustré dans cette aquarelle son désespoir affectif.

Silvia Hamilton livre une autre version dans sa préface à la vente de 1976. Elle ne s’attarde que sur ce dessin – alors que bien d’autres y furent présentés – assurant qu’il évoque «  les scènes de son [Saint-Exupéry] passé cinématographique à Hollywood (Vol de Nuit), illustré par le dessin de deux planètes, l’une portant « Fox-MGM » et l’autre « Terre », sur laquelle, désespéré, il se pend ». Les droits d’adaptation cinématographique du roman Vol de Nuit avaient en effet été cédés à Hollywood, et le film réalisé par Clarence Brown, distribué par la MGM. La sortie en salle eut lieu en 1933. Mais en 1942, Night Flight cesse d’être diffusé, suite à un différend entre Saint-Exupéry et la MGM. 

 

 
Sous le lot suivant, estimé 30 000 à 50 000 €, figurent dix dessins préparatoires à l’illustration du Petit Prince, que Saint-Exupéry exécuta à New York vers 1942. Plusieurs personnages importants du récit figurent dans cet ensemble : le héros, l’allumeur de réverbères « tellement fidèle à la consigne » d’allumer et d’éteindre « une fois par minute » son réverbère, ainsi que le personnage du chasseur de papillons sur sa planète qui n’apparaît finalement pas dans l’histoire et dont l’aquarelle originale est conservée à la Morgan Library. 

Sept croquis sont réalisés au verso de la feuille. Une esquisse représente vraisemblablement le businessman, « cet homme […] si occupé qu’il ne leva même pas la tête à l’arrivée du petit prince » (ch. XIII) . Une double étude pour le « serpent boa qui digérait un éléphant », auquel les grandes personnes, qui « ont toujours besoin d’explications », associent invariablement « un chapeau » (ch. I). Au bas de la page, est esquissé sommairement ce qui semble être un serpent « mince comme un doigt » (ch. XVII). Trois autres esquisses de personnages non identifiés complètent cette remarquable feuille, dont un élégant dandy. 

L’apparence du Petit Prince, sur ces dessins, n’est pas celle retenue dans la version originale du conte. Daté vers 1942, cet ensemble est un précieux témoignage de la genèse et des recherches iconographiques de l’auteur de cette œuvre majeure de la littérature française du XXe siècle.



Vente aux enchères publique - Drouot - Salle 4
Jeudi 4 juin – 13h30

Exposition publique - Drouot - Salle 4
Mardi 2 juin – 11h / 19h
Mercredi 3 juin – 11h / 19h



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livres anciens et modernes

Vente : jeudi 04 juin 2020
Salle 4 - Hôtel Drouot - 9, rue Drouot 75009 Paris, France
Maison de vente
Kâ-Mondo
Tél. 01 48 24 26 10