UNE DÉCOUVERTE POUR LA PEINTURE FRANÇAISE DU XVIIÈME SIÈCLE : UN PORTRAIT DU CARDINAL RICHELIEU AUX ENCHÈRES

Lundi 24 juin 2013 - Drouot Richelieu
ARTEMISIA Auctions
La société de ventes volontaires ARTEMISIA Auctions, assistée de l’expert Monsieur Vittorio PREDA, présentera lors de la vacation des dessins et tableaux anciens du 24 juin 2013 à l’Hôtel Drouot un remarquable et inédit portrait du Cardinal Richelieu, peint par Charles-Alphonse DUFRESNOY (Paris 1611 - 1668), estimé 60 000 à 80 000 €.

Symbole du pouvoir et de l’Etat, Richelieu occupe dans l’histoire de France une place à part. Si le principal ministre de Louis XIII s’est rendu célèbre par ses actions d’éclat contre les Anglais et les Espagnols, il a servi la monarchie avec un zèle tel qu’il est passé à la postérité comme celui qui, en domptant les velléités des Grands, a préparé l’absolutisme du Roi-soleil. Peint par Philippe de Champaigne dans le tableau qu’on peut voir au Louvre, le cardinal de Richelieu n’a fait l’objet, chose étrange pour un homme aussi puissant, que de très rares représentations.

C’est dire si notre tableau constitue une découverte majeure. Et cela, à plus d’un titre. Mais pour comprendre la portée de ce portrait, les sous-entendus politiques qui se cachent derrière l’allégorie, et désigner le nom d’un peintre qui a su, avec brio, offrir à la postérité une telle effigie, il a fallu mener l’enquête. Une enquête qui a duré plusieurs mois et qui, des Archives nationales à l’Italie, en passant par le Palais-Cardinal, l’histoire des ducs de Richelieu et les documents d’archives, a conduit l’historien de l’art Sylvain Kerspern à reconstruire la genèse d’un portrait jusqu’alors inconnu. L’image est singulière : le cardinal de Richelieu se trouve à l’entrée d’une grotte, en pleine nature, entouré d’un lion, d’un guépard et d’un serpent qui semblent fuir à son approche. Le peintre reprend un modèle célèbre réalisé par Philippe de Champaigne, plus particulièrement celui représenté par l’exemplaire du Louvre. Indice capital, le type de paysage renvoie aux artistes ayant séjourné en Italie, notamment au contact de Nicolas Poussin et de François Perrier, auprès de qui ils ont contracté le goût des mises en page classiques, inspiré notamment des exemples récents des Carrache ou du Dominiquin. Celui-ci est donc très différent du goût français au temps du cardinal, dominé par l’influence de Fouquières et dont témoignent de diverses façons Philippe de Champaigne, Laurent de La Hyre, Pierre Patel ou Henri de Mauperché, par des sites vallonnés aux teintes pastels baignant dans une harmonie plutôt chaude. Ceci conduit à faire de ce tableau un portrait rétrospectif appartenant au troisième quart du XVIIème siècle. La question du style est donc essentielle et constitue une des clés de ce tableau. Pour mener l’enquête, nous essayerons de comprendre quel rapport notre portrait entretient avec le modèle de Champaigne, puis nous proposerons une lecture politique de l’allégorie des animaux et, enfin, l’intérêt sur le paysage ouvrira la question de l’auteur d’une telle œuvre.

Le rapport au modèle de Champaigne.?Nous disposons de nombreuses effigies du cardinal de Richelieu peintes par Philippe de Champaigne, qui fut son portraitiste privilégié. Parmi elles, une série sans doute en rapport avec celle au travers de laquelle, selon les auteurs anciens, le ministre a souhaité figer son image, demandant que soient retouchées celles déjà faites, nous le présente pareillement en pied de trois-quarts vers la gauche (sa droite), sa tête tournée vers le spectateur, tenant à bout de bras de sa main droite la barrette cardinalice, le corps noyé dans l’ampleur de sa robe rouge.?Dans cet ensemble, on relève quelques variantes significatives, principalement : - le fond, s’échappant ou non à gauche sur un paysage ponctué de bâtiments dont on suppose ordinairement qu’ils évoquent le lieu pour lequel le tableau était destiné - sans que la question n’ait été véritablement tranchée pour aucun d’eux ;?- la position de la main droite, le long du corps ou montrant, comme dans notre tableau, la barrette.

Le tableau de la galerie des Hommes Illustres du Palais Cardinal semble, selon la gravure qui en a été tirée par Heince et Bignon en 1650, privilégier la seconde position du bras, différente dans le nôtre ; de même que celui de la National Gallery de Londres (rapproché de Rueil par Nicolas Sainte-Fare Garnot, cat. expo. Philippe de Champaigne. Entre politique et dévotion, Lille, 2007, p. 112).

Notre peinture dérive de l’autre modèle, illustré par les exemplaires du Louvre (provenant de Phélypeaux de La Vrillière), de la Chancellerie des Universités de Paris-Sorbonne et de Varsovie, notamment. A propos de celui de la Chancellerie des Universités, Frédérique Lanoë (in cat. expo. Richelieu à Richelieu, Orléans-Richelieu-Tours, 2011, p. 62-67) envisage que ce soit lui qui provienne de Rueil.

L’examen du dessin du drapé permet de resserrer encore la sélection du modèle : les volutes décrites par le rebord du manteau descendant de la main droite sont plus profondes au Louvre que dans les deux autres exemplaires, correspondant mieux à notre tableau; de même l’ampleur du pli épais juste au dessous des épaules. À cela s’ajoute le dessin de la main, dont l’annulaire et l’auriculaire sont pareillement plus franchement repliés. Malheureusement, on ne peut apparemment pas faire remonter l’historique du modèle au-delà de l’acquisition par Louis XVIII, qui souhaitait en faire don au duc de Richelieu, son ministre.

L’analyse du drapé montre que notre artiste a suivi à peu près, schématiquement, le dessin du drapé pour les deux-tiers, la partie inférieure étant aménagée pour donner au personnage une dimension moins monumentale et plus conforme, sans doute, à ses proportions, pour une meilleure intégration au décor naturel. L’examen de la lumière montre que l’éclairage choisi, venant de la droite, respecte celui de l’effigie de Champaigne. La comparaison avec le modèle, sur ces deux aspects, confirme décidément que ce dernier ne peut en être l’auteur, sans doute pas non plus un membre de son atelier tel son neveu Jean-Baptiste ou Nicolas de Plattemontagne.

Le respect des animaux ou l’allégorie d’un pouvoir dominé?L’étonnement que suscite ce tableau vient notamment de la transposition de cette célèbre effigie dans un cadre naturel évoquant la nature la plus sauvage : devant le cardinal impassible, un lion respectueux et un serpent s’écartent; derrière lui, dans la grotte, un léopard d’aspect féroce, sorti de son terrier, baisse la tête au spectacle du ministre en gloire. Difficile de croire qu’il ne s’agisse que de montrer la crainte qu’inspire Richelieu jusqu’aux créatures les plus sauvages. On songe également à une lecture montrant sa domination des instincts les plus élémentaires; une autre encore théologique selon la place du serpent dans l’imaginaire chrétien. LePhysiologus, ouvrage qui renseigne sur la pensée chrétienne primitive, associe le lion et la panthère au Christ par différents chemins. Il précise que le tempérament amical de la seconde n’aurait pour seule exception que le serpent, dont elle est l’ennemie. Qu’elle sorte de sa tanière fait peut-être écho à la fable qui veut qu’elle y dorme trois jours après s’être nourrie, analogie traditionnelle avec la Résurrection du Christ. Ainsi précisée, l’effigie témoignerait de la gloire du cardinal par-delà la mort, à l’image du Christ. Dans le registre profane, le serpent est aussi le symbole de la Prudence ou de l’Envie. Les textes de Nicolas Milovanovic sur le site de la Galerie des Glaces de Versailles permettent d’apprécier le sens allégorique qu’il pouvait avoir au XVIIème siècle, souvent à la suite de l’Iconologia de Ripa. Le lion peut aussi bien transcrire allégoriquement la force ou la justice, mais aussi la magnificence ou la générosité. C’est cette qualité qu’avait soulignée Philippe de Champaigne dans l’allégorie gravée par Michel Lasne d’après Champaigne à la gloire de Richelieu, autour de 1634, puis dans sa peinture du Palais-Cardinal, sans doute déjà démontée. Le lion peut aussi incarner l’Orgueil ou la Superbe. Le cas du léopard est plus délicat : Ripa en fait l’attribut du stratagème militaire sur la base de la réputation de ruse de l’animal, et c’est sous cet aspect qu’il apparaît dans le décor de la voûte de la galerie des Glaces à Versailles, apparemment sur le mode péjoratif. Il peut aussi être l’attribut de la Politique, selon la même source. Toutes choses qui correspondraient à merveille au cardinal-ministre.

Néanmoins, le mode de présentation, la crainte ou le respect exprimés par le lion et le léopard, ne permettent pas de penser qu’ils personnifient des qualités positives. Si le tour allégorique avait quelque pertinence (ce qu’on ne peut exclure dans une image d’une telle complexité), ce serait pour les doter des défauts que sont l’Orgueil pour le lion, la Perfidie pour le léopard ou l’Envie pour le serpent. A moins que l’inexpressivité de ce dernier suggère que la prudence du cardinal a tenu à distance l’orgueil et la perfidie...?On notera aussi que la Fontaine (dans la fable du Léopard et du Singe) fait du Léopard l’incarnation de la Noblesse face au peuple. L’écrivain peut nous être encore plus utile par la fable du Sultan Léopard : le lion, incarnation de la magnificence de Louis XIV dont témoignent les termes qui lui sont rattachés, y est opposé au roi d’Angleterre, à qui il est ainsi fait allusion, à partir de l’héraldique. Revenir à notre tableau fait songer à l’action du cardinal, rejetant les Anglais à l’Ile de Ré et à la Rochelle, en 1625-1628. Suivant ce raisonnement, le lion représente l’Espagne : c’est ainsi qu’il apparaît, par exemple, dans la gravure d’Abraham Bosse célébrant l’Hercule gaulois qu’était supposé être Louis XIII. C’est aussi sa signification quand il est accompagné d’un aigle symbolisant l’Empire autrichien, pareillement enchaîné par un Richelieu se courbant pour enlever les chenilles d’un lis, comme il a débarrassé la France de ses ennemis, dans la gravure de Ganière. La même association significative lion-aigle tenus par le cardinal se retrouve dans une image de Jérôme David.

Il semble donc que la présence du lion et du léopard fassent allusion directement aux faits et gestes du Cardinal. Parmi les boucliers foulés par Louis XIII en Hercule gaulois figure celui de l’Angleterre, où se voit son animal emblématique. C’est la politique de Richelieu au service de la France face aux puissances étrangères qui se trouverait ainsi le plus directement mise en évidence, étant entendu qu’il s’agit de rendre gloire au ministre d’état et chef militaire dans le service de son roi.

L’iconographie reflète parfaitement l’image que le cardinal a privilégiée - comme en témoigne son portrait d’apparat par Champaigne et ce que l’on peut savoir, notamment, du décor du château de Richelieu et de la galerie des Hommes Illustres du Palais-Cardinal, à Paris : on remarquera par exemple que tous les sujets en bordure de son portrait, dans cette dernière entreprise, montrent des batailles et autres sièges, lesquels formaient par ailleurs l’un des ornements majeurs du château du Poitou, dans sa galerie.

Un paysage italianisant dans le goût des Carrache et du Dominiquin?Le déploiement du paysage au-delà de la grotte d’où semble surgir le cardinal est sans doute un élément déterminant pour la datation du tableau. Il interdit tout d’abord de situer cette effigie au temps du cardinal par son aspect italianisant et plus précisément inspiré de Bologne (Carrache, Dominiquin...), qui irrigue l’art français, à compter des années 1630 mais pour les artistes présents en Italie, et pas avant la mort de Richelieu pour ceux qui rentrent en France avec ce bagage.?Il existe bien un goût classique qui se met en place autour de 1635-1640, combinant le modèle flamand d’un Fouquières et la poésie claire et graphique de la tradition française. Les noms de La Hyre, de Pierre Patel ou d’Henri Mauperché illustrent ce courant, et jouent bien plus volontiers sur une chaleur éteinte, si l’on ose dire, baignant dans une harmonie chaude des teintes pastels ou argentés. Philippe de Champaigne s’en rapproche évidemment mais son art laisse encore à son espace un pittoresque vallonné, à l’horizon assez haut, qui s’écarte de ce que l’on voit ici : un vaste espace sans grand relief conduisant sans heurt vers de moyennes montagnes à l’horizon. Les teintes sont plus froides, les coloris plus sonores, “à la bolonaise”.

A contrario, il permet de situer assurément la peinture au XVIIème siècle. La fin du siècle, à partir de 1680 environ (autour de Forest, La Fosse, puis Largillière...), marque un retour au pittoresque flamand absent ici. Nous sommes en présence d’un paysage classique dont la source, pour la France, est à rechercher dans l’entourage deNicolas Poussinà Rome, autour de 1635-1650, et plus précisément, peut-être, parmi les proches de François Perrier. Il pourrait avoir incité, en 1634-1635, un certain nombre de jeunes élèves de Simon Vouet à l’accompagner ou à le rejoindre dans son second séjour à Rome : en particulier Pierre Mignard, Charles-Alphonse Dufresnoy ou François Tortebat, peut-être aussi un Rémy Vuibert. Leurs séjours en Italie seront très variables, Vuibert revenant dès 1638, Tortebat vers 1640 quand les deux autres partageront un amitié largement forgée lors de leur séjour commun de vingt ans dans la Ville éternelle puis en Vénétie, Dufresnoy rentrant en 1656, deux ans avant Mignard.

Avec les Lemaire, Thomas Blanchet, voire Nicolas Loir et d’autres, ils promeuvent un art du paysage à la mesure de leurs admirations classiques, tel qu’il peut se voir dans ce tableau. C’est parmi ces artistes sous influence poussinienne et bolonaise qu’il faut rechercher l’auteur de cette singulière image. Il faut tout à la fois s’interroger sur le style sensible et sur l’opportunité qui a pu faire que le peintre réalise semblable commémoration.

 

Vente aux enchères publiques – Hôtel Drouot - salle 5 & 6 :

Lundi 24 juin 2013

Expositions publiques :

Samedi 22 juin 2013 : 11h-18h

Lundi 24 juin 2013 : 11h-12h

 



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